VERY BAD TRIP
John Truby a vu le film et nous en parle ici – 7 octobre 2009
La Comédie est sans doute le plus mésestimé des genres. De nombreux auteurs pensent qu’ils vont écrire une bonne comédie parce qu’ils arrivent à être drôles. Ils pensent qu’il suffit d’enchaîner les blagues et les gags pour obtenir un bon scénario de comédie. Comme ils se trompent.
D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les scénaristes amateurs qui commettent cette erreur. Un certain nombre de scénaristes confirmés écrivent des scénarios dans lesquels ils essaient de placer autant de blagues qu’ils le peuvent dans les dix premières minutes du film. Ce qui peut sembler être une bonne idée ; après tout, une fois que vous avez réussi à faire rire le public, il est tentant de penser que celui-ci vous restera acquis pour la suite.
En réalité, ces scénarios atteignent la plupart du temps leurs limites au bout de dix ou quinze minutes, et à partir de là, comme c’est étrange, cessent d’être drôles.
Ces auteurs ne réalisent pas qu’ils commettent une erreur habituelle : commencer par le moins important – les gags – et essayer de transformer cela en quelque chose de plus important. Alors qu’il vaudrait mieux selon moi commencer par le plus important – la structure comique adéquate – et les gags viendront alors naturellement, générés par les personnages.
Very Bad trip est un cas d’école sur la façon d’écrire un scénario de comédie réussi. Voici l’histoire de quatre types partant à Las Vegas pour un enterrement de vie de garçon qui va se transformer en cauchemar.
L’approche normale pour écrire cette histoire aurait été de suivre ces types au cours de leur nuit et de les montrer tandis que les péripéties se succèdent les unes derrière les autres.
Pour comprendre pourquoi les auteurs Jon Lucas et Scott Moore n’ont pas utilisé cette approche, il suffit de regarder les photos qui viennent au moment du générique et qui racontent leur scandaleuse expérience. Ce que vous voyez, c’est quatre types bourrés en train de s’en donner à cœur joie. La fontaine. Le tigre. Le bébé. Le mauvais type. Ha Ha Ha, n’est-ce pas ?
Et bien non, pas du tout.
D’abord, les gens saouls ne sont pas drôles, ou en tout cas pas plus de dix secondes. Une personne saoule peut se faire rire elle-même mais généralement pas les autres qui sont en train de la regarder.
Et puis il y a une autre raison pour laquelle cette approche n’aurait pas fonctionné…: il s’agit toujours du même Beat (temps fort). Toutes les péripéties de ces personnages peuvent sembler différentes au premier abord, mais d’un point de vue de la structure et de la mécanique comique, ce sont finalement toujours les mêmes : quatre types bourrés en train de s’en donner à cœur joie. Cela signifie qu’il aurait manqué à l’ensemble une structure narrative et une intrigue. Le script aurait atteint sa limite au bout de 15 minutes et tout ce qu’on aurait vu, ce sont des acteurs en train de commenter leurs péripéties tout en tentant désespérément de faire rire.
Notez enfin que cette stratégie aurait brisé l’une des règles les plus importantes du genre : la comédie doit venir des personnages.
Or à partir du moment où les quatre larrons deviennent saouls, ils ne forment plus qu’un seul personnage : l’ivrogne idiot.
Ainsi, non seulement vous n’avez plus d’intrigue mais en plus, vous n’avez plus de personnage.
Jetons un coup d’œil à la structure narrative que les auteurs ont choisi d’utiliser. De manière assez inattendue, le film est construit sur le principe d’une enquête (Detective story). Et la desire line est la suivante : trouver ce qui est arrivé à Doug, le futur marié, pendant la nuit.
Il est rare pour une comédie d’utiliser cette structure (Roger Rabbit et Fletch l’avaient fait en leur temps). Mais c’est une très bonne idée.
De tous les genres, la detective story utilise en effet la plus solide des structures narratives. Et cette solidité vous permet d’y suspendre les blagues et les gags sans risque de faire s’écrouler la ligne narrative.
Parce que l’histoire nous montre les personnages alors qu’ils sont redevenus sobres, les gags peuvent venir d’eux, de leurs personnalités uniques et de leurs défauts.
La structure de la Detective story donne un autre énorme avantage que la plupart des comédies n’ont pas : une intrigue. De tous les genres, la Detective story est la forme d’histoire qui permet le plus de révélations. Les révélations, comme vous le savez, sont l’une des clés d’une histoire réussie. Alors qu’une approche classique aurait donné lieu à une comédie soi-disant «croustillante» mais sans intrigue ou presque, le choix de la forme Detective story donne aux héros des possibilités quasi illimitées de surprises tandis qu’ils reconstituent peu à peu ce qu’il s’est réellement passé pendant leur nuit.
Dans mon cours sur la Comédie, je parle beaucoup des onze temps forts de ce genre, temps forts que l’on retrouve dans la majorité des structures de comédies (comédie d’action, comédie de duos, comédie romantique, farce, comédie noire, et satire). Je parle aussi des nombreuses façons de faire naître la comédie à partir des personnages.
Ce scénario utilise ce type de techniques.
Very bad trip n’est pas un film parfait. Et même avec cette structure de Detective story, le film a quelques moments de flottement.
Mais il montre très clairement que le choix d’une structure adéquate dés le départ permet la réussite du film. Et fait la différence entre un blockbuster et les centaines de scripts de comédies qui n’auront même pas la chance d’arriver jusqu’à nos écrans.
© John Truby – octobre 2009
Traduction de Muriel Levet